AVOCATS ET LA PUBLICITÉ: 2015, LA NOUVELLE DONNE ?

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Avant même d’être examiné cette semaine en première lecture au Palais Bourbon, le très controversé projet de loi Macron pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques n’en finit pas de faire des vagues, au sein du Barreau français comme ailleurs. Et ce n’est sans doute qu’un début.

Porteur d’avancées prometteuses voire nécessaires pour certains qui y voient une perspective d’extension de leur périmètre d’activité par l’ouverture des champs d’intervention et le développement des structures professionnelles ; véritable casus belli pour les autres opposés par principe à un statut d’avocat salarié en entreprise (auquel le ministre Macron a dû renoncer en commission), à toute suppression de la postulation devant les TGI et à l’entrée, sans contrôle et sans limite, de capitaux extérieurs dans la profession… Les pommes de discorde ne manquent pas s’agissant d’un texte hors normes (1) et fourre-tout qui, pêle-mêle, entend généraliser l’obligation de conventions d’honoraire, favoriser la création de structures associant des professionnels du droit et du chiffre, simplifier les règles relatives aux structures d’exercice (SEL, SPFPL) et remettre en cause les règles de la postulation. Sans oublier la réforme de la procédure prud’homale… N’en jetez plus !

Une certitude: avec cette réforme clivante qui prône la liberté d’installation et d’entreprendre, le cabinet d’avocat va inéluctablement se rapprocher encore un peu d’une entreprise comme une autre. Comme tout entrepreneur libéral, l’avocat a des préoccupations quotidiennes communes à tout chef d’entreprise : payer ses charges, se développer, créer de la richesse… Avec comme conséquence que tout avocat se doit de penser son propre positionnement marketing. Et le faire savoir.

De ce point de vue, en 2014, les robes noires, auront aussi vu sonner le glas de l'interdiction du démarchage : la loi Hamon a en effet réformé les règles relatives à la publicité, autorisant dorénavant ce qui est encore qualifié pudiquement de « sollicitation personnalisée » Un décret 2014-1251 du 28 octobre est venu compléter ce dispositif consacré par l’article 10.3 du Règlement Intérieur National (2).
 

La publicité fait partie du système

Le nouvel article 10 du Règlement Intérieur National (RIN) le dit : « La publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l'avocat si elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et si leur mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession ». Dès lors, au risque, avec le Bâtonnier Michel Bénichou, d’assister, fataliste, à la « fin d’une certaine morale », tous les champs du possible semblent permis aux avocats.

Dès 1996, dans son ouvrage « Le cabinet d’avocats Création, gestion et développement » (éd. Hermès), le visionnaire Alain Bensoussan signalait que l’offre de services d’un cabinet d’avocats « ne peut être le résultat de l’application des méthodes les plus innovantes en matière de marketing » car« si l’avocat a la possibilité de faire connaître ses services par le biais de la publicité, il ne peut procéder ni au démarchage des clients ni à leur sollicitation ». Cette dernière digue a cédé avec l’adoption de la sollicitation personnalisée.

Pour Michel Bénichou, la publicité fait aujourd’hui partie du système : « Le XXIème siècle a vu les règles ancestrales de la profession d'avocat concernant l'interdiction de la publicité et de la sollicitation exploser », ajoutant qu’ « on restait avec la vision d'une publicité qui concourrait à l'information du public sur les domaines d'activité de l'avocat, son organisation, ses spécialités individuelles ». A ses yeux, « le critère de la nécessité de l'information du public a disparu ». Et l’ancien président du Conseil National des Barreaux de souligner que « nous sommes entrés dans le marché du Droit que certains veulent. Or, pour qu'il y ait marché, il faut qu'il y ait une demande et une offre. Il faut surtout que cette offre soit parfaitement connue et reconnue. ».
 

Internet au centre de toute stratégie multicanal

Tout est dit : au delà de la publicité dorénavant clairement autorisée, l'enjeu pour les cabinets va être aujourd’hui de conforter leur présence par l’intégration dans leur stratégie numérique de l’ensemble des nouveaux supports disponibles: blogs et réseaux sociaux court-circuitent les modèles historiques de développement de clientèle et constituent un réel levier de croissance pour les avocats en leur offrant la possibilité d'exister par l'intermédiaire de contenus à forte valeur ajoutée. D’où l’intérêt d’agir et d’anticiper face à l’émergence prochaine d’actions massives engagées sur internet par l’ensemble des acteurs du marché.

Ainsi, jusqu’à présent institutionnel, le site internet du cabinet se transforme en un média à part entière conciliant science du marketing et techniques quasi-journalistiques, les avocats devenant leur propre rédacteur en chef. Ces possibilités qu’offrent internet vont également constituer autant d’outils efficaces d'animation communautaire dans sa dimension sociale représentée aujourd'hui par Facebook, Twitter, LinkedIn.

Sans oublier le Brand Content: sous l’effet de la révolution numérique et de la fragmentation des médias, le contenu éditorial sur le web est devenu incontournable pour les marques afin d’augmenter le sacro-saint référencement naturel. Les marques sont donc toutes parties pour surfer sur l’offre de contenu. Les cabinets d’avocat n’y échapperont pas. L’occasion de recréer du lien avec leurs interlocuteurs, qu’ils soient clients ou partenaires. A condition toutefois de proposer du contenu cohérent, exercice dont plus aucune marque ne peut faire l’économie. Sur le marché du droit comme ailleurs. Expertise du consommateur, désormais internaute, oblige…

On le voit, les enjeux cruciaux pour le Barreau ne manquent pas en cette nouvelle année !

 

1 - 106 articles, déjà 1.743 amendements examinés en commission spéciale à l’Assemblée nationale, 495 adoptés, 82h de débat (communiqué du Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique du 26 janvier 2015
2 - « La publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l'avocat ».


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